Villes tenues par l’extrême droite : un concentré de turpitudes et la volonté de dominer

Il parait qu’on ne les a pas encore essayés et qu’il deviendrait urgent de le faire. Ce « manque » fantasmé et cette urgence, répétés en boucle façon méthode Coué par le R.N., sont pourtant démentis par la réalité. Des centaines de milliers de citoyen.nes vivent, depuis plusieurs années, dans des villes conquises par l’extrême droite. Laboratoires des obsessions identitaires et de la « préférence nationale », une douzaine de villes ont embarqué leurs habitant.es dans un banc d’essai grandeur nature des pratiques de l’extrême droite au pouvoir.

Favoritisme, prise illégale d’intérêt et corruption

Souvent élus sur un programme de dégagisme des équipes précédentes, marquées par l’affairisme et les intérêts de quelques-uns, les nouveaux édiles ne se gênent pas pour reproduire les mêmes dérives et se voir mis en examen par la justice pour « prises illégales d’intérêt » et « favoritisme ».
L’identitaire et antisémite David Rachline, à Fréjus, en constitue l’archétype. Très en cours auprès de Marine Le Pen, jusqu’à ses ennuis judiciaires, il fait partie, temporairement, des « fâcheux » à éviter pour ne pas écorner l’image lisse et présentable que la cheftaine de l’extrême droite s’échine à construire, depuis plusieurs années. Gageons cependant, à l’image des pas de tango effectués dernièrement avec l’Afd en difficulté outre-Rhin, que ce déport tactique ne durera que le temps du retour au calme médiatique. Laps de temps que le maire de Fréjus pourra décompter sur les montres de luxe obtenues par des voies qui respirent la corruption, comme les enveloppes d’argent liquide que des témoins affirment avoir vu circuler et lui permettent de nombreuses dépenses liées à un « train de vie opulent », bien au-delà de ses indemnités d’élu. S’ajoutent à ce tableau, déjà bien chargé, des emplois de complaisance et des missions non réalisées mais rémunérées, ainsi que des petits « arrangements » avec l’équipe ex-UMP sortante dont certains pourraient bien valoir à David Rachline des poursuites pour « détournement de fonds publics ». Camille Vigogne, journaliste à l’Obs, a très largement documenté ces dérives, dans son livre, Les Rapaces, paru en 2023 aux éditions Les Arènes.
A Cogolin, c’est Marc-Etienne Lansade, élu sous l’étiquette du Front National en 2014 qui défraye la chronique avec ses appétits immobiliers et dont les pratiques municipales lui font enchaîner les mises en examen pour « favoritisme », « prise illégale d’intérêts » et « détournement de fonds publics ». Abreuvé aux pratiques affairistes des Balkany, à Levallois, ses ambitions bétonnières rencontrent régulièrement l’opposition de nombre de ses administrés. Il ne s’est éloigné du F.N. en 2017 que pour rejoindre le tandem de Reconquête Zemmour/Maréchal, à l’occasion des présidentielles et des législatives de 2022.

Pouvoir absolu

Presque tous ces édiles, marqués à l’extrême droite et élus pour la plupart d’entre eux sous l’étiquette R.N., manifestent des comportements de roitelets qui ne supportent aucune contradiction. Le pouvoir absolu constitue leur ordinaire.
Julien Sanchez, maire R.N. de Beaucaire depuis 2014, détient le pompon en la matière. Tout voir, tout contrôler, ne faire confiance en personne – ce qui l’a amené à ne pas avoir d’adjoint en charge des finances – grippe totalement le système, avec des montagnes d’impayés et des frais de contentieux qui ont augmenté de près de 50%, sous son règne.
L’« omnimaire », le surnom que lui ont donné les employé.es de la mairie, se distingue dans le même temps par une gestion globale qui a alerté jusqu’à la chambre régionale des comptes d’Occitanie. Cette dernière, dans un rapport produit en 2020, mentionne « des défaillances en série », une « gestion hasardeuse », des « recrutements irréguliers », des « rémunérations anormales en heures supplémentaires » réservés aux affidés, « l’absence de stratégie RH », « un budget en communication disproportionné » et, comme de bien entendu, des « changements brutaux d’affectation de personnels ». Comme le souligne un papier de Libération, en date du 12 septembre 2023 : « (…) à Beaucaire, en plus de la « préférence nationale », on pratique aussi la préférence amicale. »

Police ou milice municipale ?

A Hénin-Beaumont, comme à Perpignan, à Fréjus et Béziers les pratiques violentes et discriminantes des polices municipales de ces villes dirigées par l’extrême droite font régulièrement la une a minima des médias locaux et régionaux et, parfois, s’étalent dans la presse nationale.
Suréquipées, armées, ces polices bénéficient de moyens et d’effectifs bien supérieurs à ce qu’il est possible de constater dans des agglomérations de taille équivalente. Bras armés des maires de ces villes d’extrême droite, ces corps municipaux agissent régulièrement comme des milices au service d’une politique d’exclusion, outrepassant en permanence le rôle qui leur est dévolu. Racisme et violence gratuite forment l’ordinaire de ces troupes au recrutement peu regardant, débouchant, comme à Béziers, sur la mort d’un homme dans un fourgon de la police municipale, durant le premier confinement de 2020.
A Perpignan, à l’automne 2023, des caméras de vidéosurveillance enregistraient les faits et gestes d’une patrouille municipale en train d’appréhender un adolescent en lui tapant le front contre un mur.
Durant l’été 2023, ce sont le chef de la police municipale de Hénin-Beaumont et deux de ses subordonnés qui ont été mis en examen par le parquet de Béthune pour « violences » et « faux en écriture ». Dans un article de Médiapart en date du 24 août 2023, la journaliste Camille Polloni relate : « Cet incident n’est que le symptôme du climat inquiétant qui règne depuis des mois au sein de la police municipale d’Hénin-Beaumont, chouchoutée par le maire Rassemblement national (RN), Steeve Briois, et forte d’une trentaine d’agents. En décembre 2022, sept d’entre eux, presque tous des anciens gendarmes, écrivent un courrier commun au maire pour dénoncer de graves « dysfonctionnements » dans le service. » Et plus loin : « Au fil de leur courrier, les policiers municipaux détaillent par le menu d’autres irrégularités : des caméras de surveillance détournées pour surveiller les agents municipaux ou verbaliser à distance sans l’autorisation préfectorale nécessaire, des « propos discriminatoires à l’encontre d’un agent féminin », mais aussi des interventions hors cadre légal, des fouilles et contrôles illégaux, des provocations envers les administré·es. »
Après un audit décidé par Steeve Briois, le maire R.N. de la ville, le rapport sera accablant pour les agents et plutôt clément pour le chef de la police municipale…

Et le social dans tout ça ?

Les mairies des villes conquises par l’extrême droite en 2014 et 2020 développent des programmes qui se parent des plumes de la fibre sociale. Comme pour le reste, la réalité est tout autre, dès que l’on s’intéresse de plus près à ces pratiques qui mettent en avant la « préférence nationale », s’apparentent à du clientélisme et relèvent pour certaines de la punition et/ou de la vexation.
Dans une enquête parue dans Libération du 15 août 2023, les journalistes Tristan Berteloot et Nicolas Massol, décortiquaient ce « faux nez social au milieu du front ».
Leur constat : « L’image sociale du RN est largement usurpée. Elle n’est qu’un miroir aux alouettes fait de quelques propositions emblématiques à destination des classes populaires (retraite à 60 ans pour les actifs ayant commencé à travailler avant 20 ans, baisse de la TVA sur les carburants ou certains produits alimentaires…) Ces idées, dont l’efficacité fait débat chez les économistes, masquent un programme globalement plus souriant aux citoyens fortunés qu’aux pauvres. »

Les journalistes en veulent pour preuve cette proposition de loi déposée à l’été 2023 par le député RN du Var, Philippe Schreck et cinquante de ses collègues de groupe dont l’objectif consistait à suspendre l’obligation de construction de logements sociaux là où la sécheresse s’avère la plus problématique. La multiplication des piscines ou l’arrosage des golfs dans les territoires concernés ne troublent pas ces élus qui ne souhaitent pas, à leur tour, troubler les heureux citoyens/électeurs qui profitent de ces équipements et doivent pouvoir continuer de le faire en toute quiétude. Le « contexte de stress hydrique », sur lequel s’appuie le député frontiste cache mal la volonté d’en finir avec les quotas de logements sociaux, insupportables dans le cadre de leur politique clientéliste en direction des plus aisés.

A Fréjus, David Rachline, a gelé, dès l’été 2023, les subventions du quartier de la Gabelle, majoritairement habité par une population d’origine maghrébine, annonçant cette décision comme une punition faisant suite aux révoltes qui ont suivi l’assassinat de Nahel, à Nanterre.

A Beaucaire, le maire RN Julien Sanchez en 2014 a fait voter, parmi ses premières mesures, la réduction à 1 euro de la prime de fin d’année des agents municipaux dont les absences dépassent vingt jours par an. Dans le même temps, les primes et les congés indus pleuvent sur les proches du maire. C’est également le même qui affirme que « si on arrêtait un peu avec l’assistanat, les Français chercheraient aussi un peu lus de travail. »

A Villers-Cotterêts, dans le département de l’Aisne, c’est le ramassage scolaire des quartiers excentrés qui est remis en cause, tandis que les tarifs de la cantine scolaire se sont envolés alors que la ville ne connait aucun problème de trésorerie. Comme l’affirme le maire RN, Franck Briffaut, qui assure vouloir responsabiliser les familles : « Rien n’est gratuit dans ce monde. Expliquons aux gens que tout à un prix. » Un vrai programme social, à toute épreuve.

A Hayange, c’est le Secours populaire qui est dans le collimateur du maire RN, Fabien Engelmann. Subventions supprimées, chauffage coupé, exploits d’huissiers et avis d’expulsion du local, depuis que la responsable de cette association caritative s’est insurgée contre une des décisions du maire d’organiser un goûter de Noël excluant les enfants de réfugiés.
A Hayange, encore, le CCAS (Centre communal d’action sociale) n’a embauché qu’une seule assistante sociale, pour cette ville de 16.000 habitants, où le taux de pauvreté se situe à 19 %, bien au-dessus la moyenne du pays.

La quête d’une identité nostalgique

On ne peut achever ce tableau sans parler des obsessions mémorielles et traditionnalistes qui rythment les événements publics de ces mairies en quête d’identité.

Nombre de ces mairies installent dans leurs locaux, chaque fin d’année, une crèche censée représenter l’adhésion aux racines chrétiennes, en violation des principes de la laïcité. Ce qui vaut chaque année à la ville de Béziers, à celle de Beaucaire, comme à d’autres, des condamnations en justice, avec des conséquences pécuniaires qui ne sont pas anecdotiques.

La nostalgie coloniale, fonds de commerce permanent des édiles de l’extrême droite en direction d’un électorat ciblé, se manifeste par des hommages, des réunions, des noms de rue ou de places, des monuments devant lesquels on se retrouve en mémoire des assassins de l’OAS.

Dernier avatar en date de cette pulsion nostalgique, l’adhésion de la ville de Béziers au port de l’uniforme dans les écoles. Quatre écoles élémentaires de cette ville participaient, dès après les vacances de février 2024 à cette mise au pas et à ce « réarmement de la jeunesse ».

Philippe Rajsfus