Cet appel que nous reproduisons ici a été lancé par le Collectif juif décolonial Tsedek ! sur le blog de Médiapart le 7 août dernier.
Face aux émeutes pogromistes d’Angleterre : pour un antifascisme populaire et radical
En raison de l’instrumentalisation de l’assassinat sordide de trois enfants gallois, des émeutes racistes secouent l’Angleterre depuis quatre jours.
Les faits recensés sont graves : agressions physiques de personnes racisées parfois à l’arme blanche, pillages ou destructions de commerces, scènes de lynchage, attaques contre des centres de réfugiés, des mosquées et des lieux communautaires, saluts nazis, ou encore barrages routiers visant à arrêter des non-blancs pour les passer à tabac.
Cette vague de violence a été intensifiée par le relai massif de fausses informations sur les réseaux sociaux par des comptes et des médias complotistes et/ou réactionnaires, notamment celui d’Elon Musk.
Si la spontanéité de ce mouvement ne fait aucun doute, derrière lui se trouvent des sphères organisées, le plus souvent liées au hooliganisme d’extrême-droite, l’English Defence League et son leader Tommy Robinson en tête.
L’analogie entre ces émeutes et les progroms ayant historiquement visé les Juifs et les Tsiganes avant-guerre en Europe est évidente : là aussi, le musulman, l’immigré, le non-blanc est assimilé à un ennemi de l’intérieur, une figure de l’altérité menaçante dont il faut purger la communauté nationale.
L’absence de réaction massive face à cette vague de violence témoigne aussi du peu d’imprégnation de la pensée antiraciste au sein de la société anglaise, gouvernée depuis 15 ans par des conservateurs ayant fait de la lutte contre l’immigration une ligne directrice. Aux élections générales de juillet dernier, l’extrême-droite réalise son meilleur score, l’UKIP frôlant la barre des 15 %.
Reposant sur des affects nationalistes plutôt que sur une volonté de rupture avec le néolibéralisme européen, le Brexit n’a rien changé à la situation économique et sociale. L’Angleterre et les pays qu’elle occupe au sein du Royaume-Uni sont confrontés aux mêmes difficultés que leurs voisins d’outre-Manche : hausse des prix, précarisation généralisée, chômage élevé, destruction des services publics…
Au cours de la dernière campagne législative qui lui a permis d’accéder au pouvoir, le Parti Travailliste a tenu des positions réactionnaires en matière de politique sociale, d’immigration et de sécurité. Il faut y voir la conséquence de l’éviction de son aile gauche antiraciste incarnée par Jeremy Corbyn, sur fond d’instrumentalisation de l’accusation d’antisémitisme. La victoire de son aile droite marque une grande régression pour le Labour, ramené à l’époque de Tony Blair, sur une ligne politique comparable au macronisme. Le nouveau premier ministre Keir Starmer interdit par exemple à ses députés de soutenir les grèves.
Décrit par les libéraux comme un idéal de coexistence apaisée entre communautés, le modèle britannique n’est pas moins raciste qu’un autre. Sa tolérance apparente ne suffit pas à endiguer au sein de la société la nostalgie de l’ancien empire colonial, ainsi que le racisme liée à l’histoire de son impérialisme, qui l’a par exemple conduit à racialiser la population irlandaise.
Berceau de nombreuses cultures underground cosmopolites, l’Angleterre a aussi été le lieu de renaissance d’un néofascisme populaire, impulsé par la récupération du mouvement skinhead dans les années 80.
A la fin des années 2000, une partie de l’extrême-droite britannique s’est convertie à une ligne identitaire islamophobe, qui a infusé progressivement au sein de la société jusqu’à devenir hégémonique au sein des cercles ultras conservateurs.
La situation actuelle doit nous servir d’avertissement : des déferlements de haine analogues à ceux qui secouent actuellement l’Angleterre sont susceptibles de toucher n’importe quelle société occidentale, dès qu’un fait divers sera instrumentalisé par une extrême-droite désireuse d’assouvir ses fantasmes de guerre civile.
Récemment en France, de telles tentatives ont émaillé la Coupe du Monde 2022, les révoltes qui ont suivi la mort de Nahel, l’assassinat de Lola ou la mort de Thomas. Grâce à la mobilisation populaire, elles se sont pour le moment soldées par des échecs.
Il est utile de rappeler que l’effondrement de l’ascension fasciste anglaise des années 1930 a commencé par une manifestation offensive contre un meeting de son leader Oswald Mosley.
La mobilisation populaire massive, impliquant les communautés juives et irlandaises du quartier de East End, ainsi que des militants socialistes, communistes et anarchistes, avait infligé une défaite capitale aux fascistes lors de la bataille de Cable Street.
Seule une réponse ferme et intimidante de la rue permettra de dissuader la mobilisation de ces groupes. Aucune discussion n’est envisageable avec le fascisme, il s’écrase par tous les moyens nécessaires.
Tsedek ! Réaffirme son soutien aux victimes de cette déferlante haineuse en Angleterre et en Irlande « du Nord », et appuie toute forme de riposte antifasciste.